La maison, une mémoire héritée.

Par ce billet, je vous propose un petit voyage. 

Je vous invite à parcourir ensemble vos lieux, ceux où vous avez vécu. Ceux que, successivement, vous avez nommé “votre” maison. La maison trouve son origine dans l’action de rester, séjourner, demeurer, dans sa version latine manere, mansus. Le verbe se dérive et devient substantif mansio, mansionis, le lieu où l’on séjourne. Je vous propose une première halte dans la maison de votre enfance. Celle que vous avez découverte depuis les bras de vos parents, celle que vous avez parcourue en rampant, puis à quatre pattes, avant de finalement y faire vos premiers d’une longue série de pas – ses différents revêtements de sol, leur matière, leur température, leurs couleurs, vous les connaissez. Cette maison dont vous avez exploré les moindres recoins, les dessous de tables, pour vous y être caché.e. Vous vous rappelez de chacune des pièces la composant, de leurs particularités, leur identité. Souvenez-vous de la lumière baignant chacun des volumes, la course du soleil à l’intérieur, son rythme, son tracé. Souvenez-vous aussi des vues, des paysages délimités, encadrés par vos châssis.. Les odeurs, le linge, les plats préparés par vos parents, … Ses bruits, sa respiration, sa résonance, son acoustique. 

Cette maison vous l’avez vécue, explorée de tous vos sens. C’est celle qui a recueilli la palette entière de vos émotions, vos joies, vos rires, vos peines, vos doutes, vos peurs, vos colères,… Point d’attache, elle est votre refuge. Vous la parcourez peut-être encore. Histoire de réminiscence, cette maison vous l’avez peut-être quittée, mais vous la retrouvez peut-être encore dans les détails. 

Laissons la porte de cette maison entrouverte et retrouvons-nous dans votre actuel chez-vous. Ce chez-vous que vous avez choisi seul.e ou non, celui que vous avez intégré séduit par un projet ou par amour pour l’habitant. Celui où vous avez fait votre nid petit à petit. Celui que vous avez investi totalement ou partiellement. Rappelez-vous de votre première entrée dans cette maison, de votre première impression.. de ce qui vous a plu, déplu. De ce qui a été déterminant pour vous, des éléments qui ont motivé votre emménagement. Rappelez-vous du jour où vous y avez posé vos valises, vos meubles, vos objets et du moment où vous vous êtes senti.e enfin chez vous. A quoi tient ce sentiment ? 

Prenez petit à petit conscience de votre espace dans toutes ses dimensions, de son environnement bâti – ville, bordure de ville, campagne, bâtiment isolé ou mitoyen – de ses caractéristiques en termes de lumière, matière, volume, vues.. Quelle importance apportez-vous à votre intérieur ? Y avez-vous apporté des aménagements, des transformations ? Que recherchez-vous ? Une ambiance, de la chaleur, des souvenirs ? Qu’avez vous choisi, incorporé – couleurs, meubles, objets ? Pourquoi y tenez-vous tant ? Fermez les yeux et écoutez, décrivez son environnement sonore.  Peut-être, maintenant que vous y prêtez attention, retrouvez-vous des particularités communes avec la maison de votre enfance ? Une âme, un environnement, des ambiances, des matières, des meubles, des objets, un ancrage… Des détails qui vous rassurent, qui font que vous vous sentez chez vous, en sécurité. Vous vous retrouvez en votre intérieur, en votre chez-vous.  

Le «chez-soi» est une composition sémantique riche de sens. « Chez » par son étymologie renvoie à la maison (chiese, chese s.f. maison en ancien français, du latin « casa »). Le français, langue vivante, le substantif « chiese » devient une préposition exprimant plus largement la relation « à l’intérieur de », « chez » qui se réfère ainsi non seulement à une personne, un groupe, une communauté, mais également à leur esprit, caractère, discours. «Soi», pronom réfléchi, est un miroir renvoyant à l’individu même. Ensemble ils forment aujourd’hui un tout scellé ou non par un trait d’union. Ainsi cette locution porte en elle cette dimension d’intériorité, à l’intérieur de soi. Sa propre maison, miroir de soi. Se sentir chez-soi pourrait se traduire par « se » reconnaître en son intérieur. Notre relation à notre « chez-soi » parle de notre relation à nous-même, renvoie à notre existence, notre identité. Être, c’est se conjuguer au présent, au passé, au futur dans l’espace, évoluer/se construire en relation avec lui dans ses différentes dimensions, échelles. De la plus proche, la plus intime, notre corps, notre habitat, en tant que projection de soi, à la plus éloignée, notre territoire. Consciemment et inconsciemment cette relation nous façonne, nous forme.

Notre vécu de l’espace hier influe sur notre vécu de l’espace aujourd’hui de façon consciente ou inconsciente. Tout est vie, tout est cycle. 

Le chez-soi est non seulement un espace délimité, mais habité, approprié, contrôlé qui nous ressemble, dans lequel on se reconnaît. On y est chez-soi tel qu’on naît, avec notre héritage conscient et inconscient. Comme la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre, nous reproduisons, ou nous nous détachons. Nous nous plaçons en continuité ou en rupture avec l’histoire/l’espace familial. Peut-être pourrait-on parler d’une généalogie de l’habitat ?    

Papyvon raconte : 

– Maman m’a donné un petit Napoléon comme ça en bronze qui lui vient de sa maman. C’est une Française, donc elle était, comme tous les Français, admirative de Napoléon. Le frère de ma grand-mère qui était curé disait en parlant de ce Napoléon “Il ne faut pas garder ça, c’est un divorcé.”. Ma grand-mère l’a toujours bien conservé. Elle a toujours eu une admiration pour Napoléon et l’a donné à ma maman, et ma maman me l’a donné comme un grand cadeau de sa maman. Elle avait aussi donné une Jeanne d’Arc à qui, comme toute la France, chrétienne, elle vouait une grande admiration.

– Et tu l’as connue cette grand-mère ?

– Oui, c’est celle qu’on appelait Maman Riga parce qu’elle habitait rue de Riga, à Tourcoing. 

– Et est-ce qu’il y a des choses dans la maison qui peuvent faire penser à Maman Riga ? 

– À mon grand-père, il y a ce chevalet. Mon grand-père, connu sous le nom Papa Riga, bricolait beaucoup et avait même fabriqué une petite machine à vapeur. Donc pour ce chevalet il a mis une roue de machine à coudre. Et alors tu vois, regarde, ça c’était sa spécialité, le faux-chêne.  Il avait été mobilisé en 1914, puis démobilisé à la naissance de son 5ème enfant. A Paris, il avait appris à faire du faux chêne. Il faisait du faux-chêne sur toutes les portes etc, c’était vraiment magnifique, c’était vraiment unique ! 

– Et du coup c’est quoi comme bois ? 

– Ah je ne sais pas. C’est un bois tout à fait ordinaire, mais seulement il l’a transformé en chêne.

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