Le quotidien

202103-202105 – Huis-Clos

Je vis seule. J’habite les combles d’une maison tournaisienne. Je n’ai pas d’extérieur. J’ai l’habitude de voir du monde tout le temps. Toujours en dehors. La journée, le soir, je sortais. Toujours partie “bilter” comme dirait ma grand-mère. – Combien de temps restons nous à la maison ? – Stop. Nous y voilà, fallait s’y attendre. La machine s’enraye. Assignée à résidence.

Un quotidien à repenser, une mise en lumière particulière de notre intérieur. Un projecteur. S’est imposée à moi la nécessité d’une remise en ordre, celle que je repoussais jusqu’alors. Me voilà littéralement au pied du mur, celui où j’entasse derrière un tissu les choses que je devrais jeter ou recycler, les choses que je veux garder, mais ne pas voir, celles qu’on garde dans le doute, les “ça peut toujours servir”. Un jeu d’équilibre, ma tour de Pise. Ranger. S’alléger au sens propre et figuré. Désencombrer. Voilà, c’est mieux comme ça. La touche finale, le bouquet de fleurs au centre de la table. Je l’observe s’ouvrir, s’épanouir. Faner. Sécher. Tout est beau.
Quelle chance. Se sentir bien chez soi. Se retrouver en son intérieur. Observer.
Un retour sur soi, sur son histoire, l’histoire des objets, des meubles, leur héritage. Une prise de conscience. Ce que notre intérieur porte, sa charge familiale, son inconscient. La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre. – C’est du connu, rassurant, je suis profondément ancrée, attachée à mes racines.
Mon plaisir ? Le soleil, ce qu’il révèle et ce qu’il cache. Une vraie poursuite, suivre sa course, son dessin en mon intérieur. Le voir et le sentir au travers des vélux. Il s’affirme, sa présence s’intensifie, ses contours se précisent. Brûlant. Puis décline, se colore, ses contours se diffusent. Je vis à son rythme, les journées s’allongent. La cloche de l’église ponctue son tracé. Repère. Un bonheur essentiel, vital. La lumière naturelle. Reconnaître son importance sur ma santé mentale, sur mon humeur, son effet apaisant, reconnaître ma dépendance. Reconnaître l’importance de l’ombre aussi. – Petite, marchant dans la rue, j’imaginais pouvoir me débarrasser de mon ombre. Mais elle me collait aux basques. Ca m’énervait, je n’avais aucune prise sur elle, quelle que soit ma position elle était – plus petite, plus grande – toujours là, à mes pieds. Elle était en même temps témoin de ma réalité matérielle, de mon corps. Peut-être l’origine de ma fascination pour les reflets, les ombres, les contrastes. – Un jeu solaire. Quel spectacle.
Et puis, pouvoir aérer, ouvrir la fenêtre. Renouveler. Intérieur perméable. Sentir le pouls de la ville ralentir, presque à l’arrêt. Aujourd’hui reprendre peu à peu. Retrouver son flux. La pluie aussi, nécessaire. Trouver l’équilibre. Le plaisir de se retrouver chez-soi, le plaisir de sortir à nouveau. Intérieur, extérieur, une interdépendance. Comme l’ombre et la lumière. Une nécessité. L’un et l’autre.
Aujourd’hui, le soleil entre pleinement. L’air aussi.
Plaisirs non confinés.

article écrit pour le petit journal de quartier – Ag’y sont asbl

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