Journal du confinement

Quatre-vingt-quatre ans, écrit en toutes lettres, oui, c’est important. Un grand âge pour un saut de taille. Ça y est, il est prêt. Après une trentaine d’années de résistance, les berges ont cédé. Vas-y Papy, saute ! – Ok ! Mais pas sans bouée !
Un plongeon dans la technologie. Explorateur des profondeurs, chercheur d’or, mais surtout assoiffé d’Art – ne pas se noyer.
Nous y voilà, 2020, à 84 ans, il se sacrifie aux Dieux Infernaux de l’Informatique : Internet et Skype. Le graal – la Connaissance à portée de clic!
Après quelques tasses régurgitées, alors qu’il se dépatouille seulement avec sa boîte mail… V’là t’il pas que le lockdown tombe ! Sacré Coronamachin, il est fort celui-là ! Invisible, microscopique, mais puissant !
Une situation inédite que notre explorateur confiné, tel un nouveau Christophe Colomb, ne manque pas de référencer dans son journal de bord.

Garde le cap Papy !

Jeudi 19 mars. Sous le signe du Coronavirus
Il est venu de Chine, pas cher – un bon «truc» commercial pour nous vendre leurs stocks de masques, pas trop homologués. Et pour beaucoup, il ne donnerait pas cher de leur peau. Pour le Président français : « C’est la guerre ». Quand la France s’enrhume, la Belgique tousse. Et la Belgique se tourne un peu vers le passé et s’en retourne à 1940 et le journal annonce « La Campagne des 18 jours. » Comme en 40. « Mais cette fois, on ne capitulera pas »
Depuis hier midi, confinement de 18 jours. Hier matin, je suis allé voir à la frontière, gardée par des militaires français, disait-on. Ce n’était qu’une rumeur. Apparition des premiers masques protecteurs : une dame masquée, mais pas son chien. Une petite fille masquée à vélo qui s’arrête près de la dame…
Un automobiliste sort de sa voiture… Et de
trois !
Nadine (ndlr: épouse) a mal au dos. Le docteur masqué lui fait une piqûre de Voltaren. Et de quatre.

[…]

L’aide-pharmacienne dit qu’elle reçoit énormément de demandes de masques, mais que la pharmacie n’en possède plus. Les pharmaciens se protègeraient de plus en plus par des parois en plexiglas

Ce matin, tout en faisant le café, j’admire le jardin de mes voisins où fleurit un magnifique magnolia. Une apparition : Bernadette, ma voisine. Je m’agite à la fenêtre, elle me voit, on s’envoie deux gros bisous chacun. La distance hygiénique, c’est un mètre. On est à 35 mètres. Mais ça fait quand même tant de bien.

[…]

Chez le pharmacien, pour une genouillère et de l’Algipan pour mon genou gauche, des vitamines D pour l’immunité. Avis : plus de masques, ni de l’hydro…. pour les mains. Deux personnes au maximum à l’intérieur. – Tu aimerais des gâteaux ? demande Nadine qui en a envie et n’attend pas mon avis.
La boulangerie-pâtisserie : une personne à la fois. Bientôt deux personnes attendent à l’extérieur la sortie de Nadine.
Et le petit tour est bientôt terminé. Confinement oblige !

L’ordinateur. Je suis prisonnier. Les barreaux de mon ignorance, à essayer de scier. Je vais m’y risquer. Etudier les informations de Mathias (ndlr: petit-fils et voisin) «mon» spécialiste.

Dimanche 5 avril… magie.
Sylvie (ndlr: fille) a 53 ans.
Sur mon « skype » apparaissent des visages. Le skype, vous savez ce que c’est ?
Le mien, c’est un tour de magie de Mathias. Et nous voilà comme en « vidéo-conférence », en vidéo célébration d’anniversaire. Les Bruxellois, les Néchinois Marilyn et Dominique, Cousine Jojo, tous les Leersois, tous.

Mardi 7 avril. Même chose, mais en mieux.
Anniversaire de Titilayo. (ndlr: petite-fille)
17 ans ! Tu te rends compte : 17 ans ! Incroyable !
Elle a été dans les bras de son arrière-grand-mère, Maman Lot, Emilia Adam-Anciaux, qui est décédée cette année-là, en 2003.
Titilayo, la première descendante « café au
lait » de la famille. Mondialisation.

17, le nombre de l’étoile. J’ai 17 petits-enfants, qui brillent dans mon ciel étoilé. Et 3 satellites : Axel, -Rose, et Lee- Des noms américains, qui ne me viennent pas à l’esprit tout de suite. Mondialisation.
Dakota-Rose, et Scott-Lee. Ah ! Quand même !
Des noms d’Indiens, des Peaux-rouges disait-on autrefois. Et un nom conjonction d’explorateur du Pôle Nord et d’un général sudiste.

Et Titilayo ? « Tout le bonheur » ! Et c’est vrai.

Le bonheur !
Une vidéo que Mathias m’envoie… Et toute la famille dispersée, depuis les hôteliers des bords de Loire jusqu’au nomade là quelque part sur les rives de je ne sais quel ruisseau ukrainien irradié, en passant par les Bruxellois confinés entourant le beau-fils qui, sur le trottoir, à 8 heures du soir, pousse la romance en accompagnant à la guitare le bruit des casseroles reconnaissantes, toute la famille apparaît. Extraordinaire numéro. Tous les acteurs se dévoilent, avec leur caractère, leur talent.
Ça va du rap articulé de l’Ukraine à la scène zen de Velaines. Ils sont extraordinaires, les jeunes. Des magiciens. Des explorateurs d’un Monde Nouveau. Himalaya ! Je ne suis qu’un Sherpa, à la traîne. Ça monte de trop.
J’ai l’impression d’être dépassé.

Jeudi 9 avril. L’anniversaire de Mathias
Xavier (ndlr: fils et voisin) est venu avec sa tablette nous filmer. – On va faire comme pour Titi.
Mais je trouvais qu’il fallait corriger, ajouter quelques mots… Donc, s’adresser à qui ? A un spécialiste, mon spécialiste. Je croyais qu’il était dans le coup. Qu’il n’y avait que lui qui …. Il me répond qu’il ne comprend rien à ce que je raconte.
Xavier apparaît à la fenêtre de mon bureau. Et j’apprends que j’ai vendu la mèche. Il dit aussi que Carine (ndlr: belle-fille) a mal à la tête….
Et pour moi tout s’écroule. Trop c’est trop ! « A Boussu, on a s’compte et cor pu ». Il n’y a pas qu’à Boussu qu’on a son compte, et encore plus.
Plus rien à dire.

Dimanche 12 avril.
Sauvée.
J’ai téléphoné pour dire de boire souvent, du chaud, parce que le coronavirus se développe dans la gorge, et qu’il faut l’empêcher de pénétrer dans les poumons, le faire passer vers l’estomac … l’envoyer à la mer….
C’est un conseil du docteur.
Carine est sauvée ! Ouf ! Pâques !

Lundi 20 avril.
Je me soigne :

  1. tisanothérapie ou plutôt décoctionothérapie, parce qu’il faut faire bouillir thym, cannelle et clous de girofle, cadeau de Sylvie
  2. marchothérapie : je marche dans mon jardin, à grandes enjambées.
  3. héliothérapie : pas un gramme de vent, je profite du soleil, en marchant torse nu.
    Mon voisin m’a envoyé un mail, disant que ce n’était pas la peine de continuer à faire de la marche à ce rythme, les Jeux Olympiques sont remis à l’année prochaine.
    Comment savait-il que j’avais été sélectionné comme athlète belge pour les Jeux
    Olympiques ? Je n’en avais rien dit à personne.
    Ma femme est arrivée pendant que je marchais. J’étais content que je n’étais pas occupé de me reposer : on a sa fierté !
    Elle a dit : – Je te connais : t’en fais toujours trop !
    J’ai dit : -Tu as certainement remarqué que, quand je me lève, je marche comme un automate, sans plier les jambes, surtout la jambe droite, c’est celle qui a été la plus sollicitée durant 4 mois, parce que je ne pliais pas ma jambe gauche, et c’était elle qui me soulevait ou me soutenait pour monter ou descendre les marches, surtout celle du garage. Quand je marche, mon genou droit se
    « lubrifie » et ça va mieux.
    Mais, chut, je n’ai pas parlé des Jeux Olympiques. Quelle catégorie ? Les Vieux Débris !
    La prochaine fois, j’essaierai d’être assis quand ma femme pointera son nez au jardin. Ouais !

Plus sérieux !
Mathias a toqué à la fenêtre de mon bureau. Il fait une vidéo pour l’anniversaire de Naïm : 37 ans ce 23 avril. 37 ans ! Incroyable ! Comme le temps passe. Et comme Naïm aime les films d’horreur, avec sa tablette, Mathias met des masques horribles à tous ses acteurs. Ils savent tout faire ces gamins.

Vendredi 17 avril.
Facebook c’est un peu compliqué. Je dois crier au secours à mon spécialiste, heureusement local, qui vient expliquer à la fenêtre de mon bureau confiné, et pour ta photo avec ma tablette, et ceci, et cela….. Je vous jure que je ne répéterai ce qu’il a dit, ou alors, ça vous coûtera cher, même plus qu’un procès-verbal pour non confinement. Pas de candidat ? Ni de candidate ? Tant mieux.
Facebook ! Oh là là ! Je suis un Ancien Belge, un Gaulois, un Ménapien (jusque et y compris Tornacum) qui vient de se frotter à la romanité, la voie romaine appelée Internet, et qui devrait faire un bond à travers le Moyen Age, traverser les Temps Modernes pour arriver aux Temps Contemporains. A 84 ans. J’ai déjà tant de mal avec la WIFI (?). Demandez à Mathias. Et même à Astrid. Le Titanic coule, souvent !
Je crois que ce sera ma seule incursion en cette terre inconnue. J’abandonne ce terrain à
« mes » spécialistes.

Amicalement, vous qui avez ingurgité l’informatique avec votre dernier biberon, sinon votre premier coca (trop sucré). Pour la prochaine génération, ce sera dans le lait maternel.
Allez, amusez-vous bien, verte jeunesse !

Un p’tit vieux, assis entre deux chaises

Papyvon

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